Elections locales : un feuilleton à rebondissements !

Philippe Pottiée-Sperry
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Quel feuilleton ! A l’issue d’une consultation expresse auprès des 35 000 maires, lancée par le gouvernement vendredi 9 avril en fin de journée pour un rendu le lundi 12 avril midi (ça fait court tout de même !), 56% ont répondu oui (40% de non et 4% de non réponses) pour le maintien des élections départementales et régionales en juin, malgré le contexte sanitaire actuel. Malgré ces délais extrêmement courts, 24 257 maires, soit 69%, ont participé à la consultation.

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« Une participation importante à saluer », souligne le ministère de l’Intérieur dans un communiqué publié lundi en fin de journée. Le gouvernement voulait sonder les maires avant le débat sur le report ou non du scrutin, à l’Assemblée nationale, le 13 avril, et au Sénat, 14 avril, durant lequel le Premier ministre va se prononcer pour le maintien du mois de juin, en précisant le protocole signataire nécessaire et les conditions d’organisation de la campagne. Seul changement : le décalage d’une semaine du scrutin. Jean Castex a ainsi annoncé, aux députés, la tenue des élections régionales et départementales les 20 et 27 juin, initialement prévues les 13 et 20 juin. Le décret sera publié la semaine prochaine.

Lors d’un vote consultatif, les députés ont approuvé par 443 voix (73 contre) la déclaration du gouvernement. Jean Castex a aussi annoncé la création, sous l'égide du ministère de l'Intérieur, d'« un comité de suivi permanent » , présidé par un « Monsieur élections » qui sera Jean-Denis Combrexelle, haut fonctionnaire et ancien président de la section du contentieux du Conseil d'Etat.

Une campagne électorale dématérialisée

« Nous mettrons en œuvre toutes les dispositions permettant d’assurer la sécurité sanitaire des personnes concourant aux opérations de vote et de tous les électeurs », a précisé le Premier ministre. Et d’ajouter : « Trois semaines avant le premier tour, les communes seront invitées à faire connaître la liste des personnes non vaccinées membres des bureaux de vote et fonctionnaires mobilisés le jour du scrutin afin qu’une vaccination puisse leur être proposée ». A défaut, elles devront effectuer un test PCR ou antigénique, moins de 48 heures avant le jour du scrutin, ou d'un autotest réalisé juste avant. L’État va fournir des autotests aux communes pour le jour du scrutin.

Pour faciliter l’organisation d’une campagne électorale dématérialisée, le ministère de l'Intérieur mettra en place un site internet pour permettre aux électeurs d’avoir accès à l'ensemble des professions de foi des candidats aux deux élections. Un débat sera organisé à la télévision et à la radio entre les candidats des régionales, avant le premier et le second tour. Concernant les meetings, interdits même en extérieur, une réévaluation sera possible si la situation sanitaire s’améliore. Autre mesure annoncée : les candidats et leurs équipes pourront se déplacer au-delà du périmètre de 10 km imposé actuellement. Par ailleurs, les procurations sont facilitées. Au-delà de la possibilité de disposer de deux procurations (permise par la loi du 22 février dernier), « le dispositif maprocuration.gouv.fr permettra d’établir une procuration de façon presque totalement dématérialisée »

« Une consultation rocambolesque »

Avant ces annonces et l’accord des maires pour la tenue du scrutin en juin, la consultation expresse est très mal passée auprès des associations d’élus locaux. Notamment car l’AMF, l’ADF (Assemblée des départements de France) et Régions de France s’étaient déjà prononcées pour un maintien du scrutin, auprès du gouvernement. Leur collectif, Territoires Unis, a ainsi dénoncé une « consultation rocambolesque » et surtout « une manœuvre » du gouvernement qui aurait « peur du verdict des urnes ». Selon Dominique Bussereau, le président de l’ADF, « on a rarement vu une telle embrouille : les préfets prévenus à 17h doivent avant lundi fin de matinée consulter tous les maires de leur département sur la tenue des élections en juin ! ». Durant toute la journée du 12 avril, les témoignages d’élus n’ont pas manqué pour fustiger l’attitude du gouvernement, perçue selon eux comme une manœuvre politique pour tenter de décaler de nouveau le scrutin. Valérie Pécresse, présidente de la région Ile-de-France, n’a ainsi pas hésité à dénoncer « l’objectif de priver les Français de leur droit de vote ». A l’instar de ses collègues, elle estime « qu'il n'y a pas de motif impérieux pour déplacer une deuxième fois les régionales ». De plus, elle ajoute que « juin est la meilleure période sanitairement, on l'a vu l'année dernière, pour voter ». Selon Valérie Pécresse, « il y a plein de possibilités pour faire un vote zéro risque. Le Sénat y travaille avec l'idée par exemple de faire un bureau de vote unique dans les petites communes de moins de 5000 habitants, d'autoriser les maires à organiser le vote en extérieur s'il fait beau ».

« Des mesures supplémentaires de protection »

Pour sa part, Territoires unis a demandé des mesures supplémentaires de protection, renvoyant notamment aux propositions adoptées par la commission des lois du Sénat, le 7 avril. Les associations d’élus locaux comme les partis politiques avaient jusqu’au 8 avril pour faire parvenir au Premier ministre leurs positions. En règle générale, elles étaient toutes favorables au maintien du scrutin en juin. A l’exception notable du Modem, dont 75% des élus se sont prononcés pour un report au-delà de l’été. Comme le Conseil scientifique, les partis souhaitent que les assesseurs des bureaux de vote soient vaccinés ou testés négativement. C’est ce qu’a annoncé Jean Castex aux députés. Côté associations d’élus, l’APVF (Association des petites villes de France) a notamment proposé d’ouvrir l’ensemble des bureaux de vote de 8h à 20h, avec également la possibilité de voter en extérieur.

Parmi les villes, celle de Strasbourg s’est dit par exemple « prête, humainement et techniquement, à organiser la tenue du scrutin en juin ». Mais de prévenir qu’« il revient à l’État de prendre la responsabilité du maintien en juin ou du report de cette élection, au regard de la situation sanitaire ».

Mise en garde du Conseil scientifique

Probablement échaudé par les nombreuses critiques dont il fait l’objet, le Conseil scientifique avait rendu son avis, le 29 mars, sans prendre vraiment position sur le report ou non des élections, et en renvoyant la décision au gouvernement. Ce qui ne l’a pas empêché de souligner que « dans certaines régions, les risques associés aux élections seront d’autant plus importants que le niveau de circulation sera élevé ». Si des protocoles adaptés le jour du scrutin réduisent les risques, ceux « auxquels s’exposent les candidats et les équipes de campagne pourraient s’avérer plus importants et potentiellement plus délicats à gérer », pointe le conseil, craignant « une reprise de l’épidémie suivant les élections sous forme de clusters ».

Les experts recommandent donc aux candidats « l’usage de moyens dématérialisés » durant la campagne et de se faire vacciner ou dépister régulièrement. Pour tenir les bureaux de vote, le recours à des personnes vaccinées est préconisé tout comme l’extension des horaires d’ouverture. Enfin, le Conseil scientifique encourage fortement le recours au vote par procuration.

Des conditions « inacceptables » pour l’AMRF

Dans un courrier envoyé au Premier ministre le 8 avril, Michel Fournier, le président de l’Association des maires ruraux de France (AMRF), « souhaite que les élections puissent se dérouler selon le calendrier prévu dans la mesure où elles se situent dans une période non concernée par un confinement partiel ou total ». Mais il juge « inacceptables » les conditions d’organisation, recommandées par le Conseil scientifique et reprises en partie par le gouvernement. Selon Michel Fournier, au-delà de la difficulté à mettre à œuvre, vacciner ou tester les membres du bureau de vote créeraient « un environnement incompatible avec la sérénité de l’organisation du scrutin ». En clair, l’AMRF favorable au maintien du scrutin en juin, juge néanmoins qu’il reste impossible dans les conditions prévues. « Imposer de telles dispositions aux élus locaux est difficilement compatible avec la pratique constatée dans les communes rurales où il est parfois complexe de trouver des assesseurs en nombre sans mobiliser le personnel communal », explique-t-il.

Philippe Pottiée-Sperry

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