Jean Castex joue à fond la carte des territoires

Philippe Pottiée-Sperry
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« Libérer les territoires, c’est libérer les énergies ». « Il faut faire confiance aux territoires ». « La France des territoires, c’est la France de la proximité ». Jean Castex a donné le ton dans son discours de politique générale à l’Assemblée nationale, le 15 juillet, et encore plus le lendemain au Sénat.

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Cela fait bien longtemps qu’un Premier ministre n’avait tant fait l’éloge du local. Conviction ? Stratégie ? En tout cas, la ligne définie semble bien loin des débuts du quinquennat d’Emmanuel Macron.

Sans surprise, c’est devant les sénateurs que Jean Castex a été le plus louangeur. « Dans la gestion de la crise, les élus ont été remarquables d'implication et de dévouement, à commencer par les maires qui, comme toujours, ont été combattants de la première ligne et de la première heure ». Et d’en tirer les conséquences : « mon gouvernement s'appuiera sur les territoires pour conduire sa politique. C'est une question de respect, et surtout d'efficacité. [...] Pour l'ensemble des grandes transitions écologiques, économiques et sociales, les acteurs territoriaux doivent être à la manœuvre ». Un discours qui ne peut que satisfaire les collectivités mais à condition que les moyens soient au rendez-vous.

« La vie quotidienne des gens »

C’est en se présentant comme « un Premier ministre des territoires et de la vie quotidienne des gens » qu’il a détaillé sa feuille de route et le plan de relance de 100 Md€, qui sera lancé à la fin de l’été, avec un rôle central pour les collectivités. Il a insisté sur sa confiance envers elles en déclarant « c’est dans les territoires que nous mettrons en application, chaque fois que cela sera possible, les mesures du plan de relance, de lutte contre le chômage, de reconquête de l’économie ». Jean Castex veut « soutenir les investissements des collectivités orientées vers le développement durable et l’aménagement du territoire. Nous accélérerons en particulier tous les projets sur les réseaux qui permettent de structurer et de développer nos territoires : déploiement du très haut débit, modernisation des réseaux d’eau et d’assainissement, sauvegarde des petites lignes ferroviaires ».

Un plan de relance de 100 Md€

Le plan de relance sera intégré au projet de loi de finances pour 2021, a indiqué Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, des finances et de la relance, le 16 juillet, et ne passera donc pas comme prévu initialement par un quatrième projet de loi de finances rectificative. Ce plan de 100 Md€ comprendra 30 Md€ pour les dispositifs d’activité partielle (dont 8 Md€ en 2021), 40 Md€ pour la transformation de l’appareil productif, 20 Md€ pour la rénovation thermique des bâtiments (en priorité les écoles et les Ehpad) ou encore 1,5 Md€ dans la formation professionnelle (200 000 places supplémentaires ouvertes en 2021 pour les jeunes et les demandeurs d'emploi). Il soutiendra également les énergies vertes ou l’agriculture avec une accélération de « tous les investissements dans les filières agricoles pour développer une alimentation de qualité, locale, accessible dans toutes les villes et villages de France ».

Jean Castex a précisé qu’un « point précis de la mise en œuvre du plan de relance, de ses impacts et de ses résultats » sera présenté tous les deux mois. En outre, un projet de loi spécifique sur les mesures de la Convention citoyenne sera « présenté à la concertation au début de l’automne ».

Décentralisation, différenciation, déconcentration

Un projet de loi organique sur le droit à la différenciation doit être présenté en conseil des ministres avant fin juillet pour « donner un nouveau cadre aux expérimentations menées par les collectivités pour qu'elles ouvrent la voie à une différenciation durable ». De plus, Jacqueline Gourault, la ministre de la Cohésion des territoires, a repris la concertation sur le projet de loi « 3D » (décentralisation, différenciation, déconcentration), entamée en janvier dernier puis suspendue à cause de la crise sanitaire. Ce travail devra se traduire par une conférence nationale des territoires « d’ici à la fin de l’été ». Si Jean Castex a évoqué une « nouvelle étape de la décentralisation », la question des compétences des collectivités n’a pas été abordé, excepté la possibilité de transférer les routes nationales aux régions.

Le Premier ministre a aussi insisté pour « rendre rapidement plus cohérente et efficace l’organisation territoriale de l’État, en particulier au niveau du département ». En citant le « couple maire-préfet de département » qui a bien fonctionné durant la phase déconfinement.

Concrètement, « les moyens de l'État seront confortés dans leur action quotidienne, et ce, dès le projet de loi de finances pour 2021 ». Et de s’engager à ce que toutes les créations d'emplois, sauf exceptions justifiées, se fassent à l'échelon départemental de l'État et non plus en administration centrale. « C'est une révolution dont je vous prie de mesurer qu'elle va occasionner beaucoup de soucis », a-t-il reconnu. Selon lui, « il est urgentissime de faire évoluer le logiciel de l'action publique ».

Des « contrats de développement écologique »

Par ailleurs, le Premier ministre veut « plus promouvoir la contractualisation territoriale ». D’ici fin 2021, les intercommunalités en milieu rural et périurbain comme les villes et agglomérations en milieu urbain devront être dotées de « contrats de relance et développement écologique » dont l’Etat sera partenaire et financeur. Ces contrats devront comprendre « des plans d’action concrets, chiffrés, mesurables » dans de nombreux domaines : « du développement des pistes cyclables à la lutte contre l’artificialisation des sols, de l’équipement des toitures photovoltaïques à la promotion du tri sélectif, de la lutte contre les gaspillages à la promotion des énergies renouvelables, du nettoiement des rivières aux économies d’eau, d’énergie et d’éclairage public ».

Accélérer l’Agenda rural

Pour renforcer l’équilibre des territoires, le Premier ministre veut accélérer l’Agenda rural. Il compte sur le déploiement du programme « Action cœur de ville », qui s'adresse déjà à 234 villes de petite taille ou de taille intermédiaire, et du nouveau programme « petite ville de demain » avec l’objectif de toucher 1000 villes. « Il s'agit de faire de toutes nos villes, petites et moyennes, des lieux plus attractifs, exemplaires, dotés de services essentiels et où il fait bon vivre », explique Jean Castex. Plaidant pour « revitaliser nos territoires ruraux par l'économie », il a promis d’accélérer la couverture de tout le territoire en très haut débit pour faciliter notamment le télétravail, la télémédecine, tous les usages liés au numérique. Reprenant l’une des propositions de la convention citoyenne pour le climat, il a évoqué la lutte contre l’artificialisation des sols qui passera par la mise en place « d'un moratoire sur l’installation de nouveaux projets de centres commerciaux dans les zones périphériques ».

Sur le plan de rénovation urbaine, concernant 450 quartiers, il a indiqué que « les moyens seront dans le plan de relance ». Avec l’engagement que d’ici fin 2021, pour 300 quartiers, « les choses aient concrètement bougé ».

Priorité aux jeunes

Le Premier ministre a aussi insisté sur l’urgence des jeunes, premiers touchés par la crise. Environ 700 000 d’entre eux seront sur le marché du travail à la rentrée. Pour éviter qu’ils se retrouvent en nombre au chômage, le gouvernement veut favoriser l’embauche en réduisant le coût du travail (4000 € par an) pour les moins de 25 ans, jusqu’à 1,6 Smic, dans toutes les entreprises et pour au moins un an. Autre dispositif : la lutte contre le décrochage durable des jeunes les plus éloignés de l’emploi avec la mise en place de 300 000 parcours et contrats d’insertion (c’est le retour des contrats aidés). S’y ajouteront 100 000 places supplémentaires en service civique. De plus, pour aider les étudiants les plus modestes, des repas à 1 € seront proposés à la rentrée dans les restaurants universitaires pour les boursiers. Le plan de relance va aussi prévoir des mesures de soutien pour les précaires comme par exemple la revalorisation de l'allocation de rentrée scolaire (a priori de 100 €).

Une partie du discours du chef du gouvernement a aussi été consacrée à la sécurité. Considérant la laïcité comme une « valeur cardinale » de la République, il veut lutter contre l'islamisme radical « sous toutes ses formes ». Un projet de loi contre les séparatismes doit être présenté à la rentrée. Par ailleurs, la justice « de la vie quotidienne » sera favorisée en créant des juges de proximité destinés à la répression des incivilités du quotidien.

Participation des collectivités à la gestion du système de santé

Par ailleurs, dans les suites du Ségur de la Santé, Jean Castex veut donner plus de souplesse au fonctionnement des structures de santé via davantage de collaboration avec les territoires. « Je souhaite que les régions, les départements et les intercommunalités puissent prendre une part plus grande dans la gestion de notre système de santé, et qu'elles puissent, si elles le souhaitent, s'associer aux investissements que nous allons y décider. […] Cela va se faire dans un cadre clair sur la base de contrats territoriaux conclus avec l’Etat et les structures de soins », a-t-il affirmé. Et de plaider pour « permettre enfin aux collectivités d'être davantage parties prenantes des stratégies d'investissement et d'organisation des soins, tant au niveau des agences régionales de santé que des établissements eux-mêmes ». Le Premier ministre a aussi annoncé un projet de loi sur le grand âge et la dépendance qui sera présenté au Parlement au premier semestre 2021.

Inquiétudes sur la baisse envisagée de la CVAE

Parmi les réactions assez positives des associations d’élus locaux au discours du Premier ministre, l’APVF souligne néanmoins le besoin de « nouveaux moyens dévolus aux collectivités territoriales ». Se disant inquiètes sur ce sujet, les petites villes s’alarment, à l’instar des autres associations, des annonces de baisse de la CVAE par Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, des finances de la relance, qui « apparaît en totale contradiction avec les intentions affichées par le Premier ministre ». Dans sa déclaration de politique générale, ce dernier est resté plus fou en évoquant « l’allégement des impôts de production » mais sans préciser lesquels… Selon l’APVF, « cette baisse du principal impôt de production amputerait encore un peu plus le lien fiscal entre les entreprises et les territoires, ces derniers n'étant plus incités à accueillir de nouvelles entreprises ou n'en voyant plus l'intérêt. Au moment où la crise économique s'annonce sévère, et où le besoin d'une relance de l'investissement public local est particulièrement nécessaire, l’APVF demande au gouvernement d’œuvrer à une politique de stabilité et de pleine visibilité de la fiscalité locale ».

France urbaine partage les mêmes inquiétudes en affirmant que le « dynamisme de la CVAE résulte de l'efficacité des actions locales mises en œuvre en faveur du développement économique ». Selon les élus urbains, « lui substituer une quote-part d'impôt national serait une décision « perdant-perdant » : les collectivités n'étant plus incitées à accueillir de nouveaux établissements, les entreprises n'étant plus légitimes à demander le développement d'infrastructures et de services publics locaux ».

Philippe Pottiée-Sperry

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