Maison, boulot, dodo : comment booster la performance et éviter le décrochage en télétravail ?

Philippe Pottiée-Sperry
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L’effet du groupe sur la performance sociale est bien connu : le travail en collectif accentue la motivation et améliore ce faisant la productivité.

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A la fin du 19ème siècle, les travaux de Norman Triplett montrent que le coureur cycliste pédale plus vigoureusement lorsqu’il pédale en groupe. T. Zentall et D. Hogan ont observé en 1976 que les pigeons picoraient moins lorsqu’ils étaient seuls, que lorsqu’ils bénéficiaient de la compagnie de leurs congénères.

L'homme est un être social qui a besoin des contacts et de l'influence des autres. De fait, on pourrait supposer que le travail en groupe stimule la performance individuelle. Or, en réalité, c'est plutôt le phénomène inverse qui se produit. En effet, placé dans un groupe, chaque individu aurait tendance à diminuer ses efforts. Ce phénomène a d'ailleurs un nom : la paresse sociale. Décrit par l’ingénieur Max Ringelmann à la fin du XIXème siècle, l’« Effet Ringelmann » naitrait de l’absence d’identification des contributions individuelles. Sans le feedback permanent d’une organisation qui rétribue chaque jour ses contributeurs, nous serions moins enclins à rechercher la performance.

Que cela soit en distanciel ou en présentiel, chaque membre d’une organisation doit pouvoir rester orienté vers un objectif collectivement partagé. Il doit avoir le sentiment d’appartenance à une communauté qui donne du sens à son action. Or, le travail à distance fait que la personne bénéficie moins de la rétribution quotidienne accordée à chacun par le geste ou la parole. Le télétravailleur est à l’image du spectateur noyé dans la foule, dont l’intensité du cri est mesurée dans l’expérience de Latané, Williams et Harkins (1979). Privé de feedback auditif, le spectateur émet un cri d’une intensité moindre lorsqu’il est couvert par le groupe. Sans la boucle rétroactive de la rétribution, l’effort individuel risque de décroitre et de rejoindre le strict nécessaire en deçà duquel, il y a décrochage. Et ce d’autant que le face à face reste essentiel dans nos cultures, au fondement de la relation sociale et professionnelle. En situation extrême, le travailleur apporterait ainsi la contribution minimale, qui légitime son appartenance à l’organisation. Le risque est celui d’une autocensure, voire d’une auto-exclusion du collectif de travail. Les relations internes et partenariales se distendent ; le rétrocontrôle n’opère plus.

Il est intéressant de noter que l’effet Ringelmann, et donc le risque de décrochage, est moins fort chez les personnalités naturellement orientées vers le groupe. Par conséquent, la paresse sociale n’est pas systématique lorsque nous travaillons en groupe, même en télétravail. Pour optimiser l’engagement de son équipe, le manager se doit d’identifier les besoins de chaque personne, d’évaluer et rétribuer les contributions individuelles et collectives. Plus que jamais, le manager en distanciel doit pouvoir responsabiliser et impliquer ses collaborateurs dans l’effort collectif.

Pour qu’il soit productif, le télétravail doit donc être assorti d’un dispositif efficace de rétroaction. Chaque télétravailleur doit ainsi être audible, ce qui est moins évident en situation de télétravail généralisé. Comment accorder une place à chacun dans une organisation distendue et virtualisée ? Pour garder une motivation, il faut avoir la conscience d’être entendu, au-delà du bruit de fond permanent généré par la situation collective ; il faut avoir une propension naturelle à crier fort, ou bien pouvoir être reconnu et rétribué à la mesure du travail réalisé. Rien de moins simple en situation de crise sanitaire captivant les attentions, en présence de cette vague destructrice annihilant tout sentiment d’efficacité personnelle.

Nadège Baptista, administratrice territoriale hors classe

Philippe Pottiée-Sperry
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