Mandat 2014-2020 : hausse du risque pénal pour les décideurs locaux

Philippe Pottiée-Sperry
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Le colloque de l’Observatoire SMACL des risques de la vie territoriale et associative, qui s’est tenu le 10 décembre dans un format à distance, est revenu sur la mobilisation, depuis le début de la crise sanitaire, des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux pour assurer la continuité du service public, dans un cadre juridique parfois mouvant.

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Pour Jean-Luc de Boissieu, président de SMACL Assurances, « la crise sanitaire, après celle des gilets jaunes, souligne la place de premier plan des élus locaux dans la gestion de l’urgence mais aussi dans la reconstruction de l’après ».

« Rétrécissement du pouvoir de police du maire »

« Nous assistons à un rétrécissement permanent du pouvoir de police du maire avec la Covid-19 », a estimé Aloïs Ramel, avocat associé du Cabinet Seban et Associés, lors d’une table-ronde sur l’articulation de ces pouvoirs de police du maire avec ceux du préfet et la protection des libertés. En guise de conseil sur la responsabilité pénale face au Covid-19, Yvon Goutal, avocat associé Cabinet Goutal, Alibert et Associés, a suggéré au maire de « montrer au juge pénal qu’il a bien cherché à agir. Entre tout et rien, il y a sans doute des petites mesures à mettre en place pour assurer un fonctionnement plus performant des services ».

Des organisations plus résilientes

Lors d’une autre table-ronde sur les retours d’expériences, Florian Glay, DRH de Pontault-Combault, a constaté que « les équipes sont dans un état d’épuisement important. D’où la nécessité de redonner du sens à nos actions, de recréer du lien. C’est d’abord aux élus et à la direction générale de donner de la visibilité ». Se voulant optimiste, Laurence Malherbe, cadre territoriale à la mairie d'Antibes, a considéré que « tout cela n’est pas vain en nous menant vers des organisations plus résilientes avec une sentiment de fatigue mais aussi d’excitation ».

Pour sa part, Philippe Laurent, maire de Sceaux et secrétaire général de l’AMF, a tenu à souligner que « la crise sanitaire a montré que les collectivités ont su coordonner leur action. Ensemble, malgré notre diversité et notre nombre, nous avions du concret à faire ». Son jugement est plus sévère concernant l’Etat : « Les échanges ont été plus difficiles avec le niveau national (préfet, ARS…). La verticalité est la conséquence d’une dérive institutionnelle de la Ve République et d’une culture trop forte de la technocratie ».

Rapport annuel du risque pénal

À l’issue de la journée, le rapport annuel 2020 de l’Observatoire SMACL du risque pénal des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux a été présenté. « Il constitue une source d’informations précieuse pour les acteurs du monde territorial et de la vie publique », estime Luc Brunet, le responsable de l'Observatoire SMACL. Le rapport dresse un bilan de 25 années d’observation du contentieux pénal des élus locaux et des fonctionnaires territoriaux. Il présente également la jurisprudence répressive du 1er janvier 2019 au 30 juin 2020 et « offre ainsi aux décideurs publics locaux l’occasion de regarder le risque pénal en face. Non pour ‘jouer à se faire peur’, mais pour identifier, en toute sérénité, les réelles zones à risque et dégager des axes de prévention pertinents ». L'édition 2020 du rapport a été repensée afin de tendre vers plus de pédagogie et de donner plus de place aux retours d'expérience. S’y ajoutent des éclairages d’experts et des focus sur les nouveaux outils introduits par la loi « Engagement et proximité » du 27 décembre 2019. Par ailleurs, le rapport à améliorer la gestion du risque et à permettre aux acteurs publics locaux de mieux anticiper et évaluer ce risque. « Le risque pénal m’aide à exercer ma fonction en me mettant des limites que je dois respecter et faire respecter. Cela me permet de me positionner », affirme ainsi Bruno Paulmier, DGS de Niort et président de l’ADT-Inet.

Mandat 2014-2020 : +32% de poursuites contre des élus locaux

À la lecture des chiffres et des décisions de justice, une tendance se dégage selon le rapport 2020 : « poursuite ne vaut pas condamnation [le taux de condamnation des élus locaux poursuivis est de 43 %]. Un constat rassurant pour les élus et fonctionnaires sur l’état de santé de notre démocratie locale, et très éloigné du ‘tous pourris’ ». Néanmoins, la hausse du nombre de poursuites contre les élus locaux se confirme et la mandature 2014-2020 marque un nouveau record en termes de poursuites. Si ce constat traduit aussi une meilleure efficacité des méthodes de recensement, il reste que la tendance est forte (+ 32 % par rapport au mandat 2008-2014). Dans le détail, entre avril 1995 et juillet 2020, l’Observatoire de la SMACL a recensé 4349 poursuites pénales contre des élus locaux (avec 1426 condamnations). La mandature 2014-2020 marque un nouveau record avec 1706 élus poursuivis dans l’exercice de leurs fonctions, soit une moyenne de 284 élus poursuivis par an. Mais il faut noter une baisse depuis 2016. Par rapport au nombre total d’élus locaux, le taux de mise en cause pénale s’élève à 0,302%, toutes infractions confondues. Un chiffre qui relativise le phénomène.

En tête les manquements au devoir de probité

Sur la dernière mandature, le podium des infractions imputées aux élus locaux est constitué par les manquements au devoir de probité (34,9%) (corruption, favoritisme, prise illégale d’intérêt...), les atteintes à l’honneur (28,5%) (diffamation et dénonciation calomnieuse...) et les atteintes à la dignité (18%) (harcèlement moral, injures, discriminations...). Qu’entend-on par manquements au devoir de probité ? Les infractions d’abus de biens sociaux, les abus de confiance, la concussion, le corruption passive et le trafic d’influence, l’escroquerie, le favoritisme, le pantouflage, la prise illégale d’intérêts, les soustractions ou les détournements de biens publics, le vol et le recel de l’une de ces infractions, le blanchiment, la fraude fiscale. D’une manière générale, il s’agit en principe d’infractions qui supposent la recherche par l’auteur des faits d’un intérêt personnel. Cependant la situation est beaucoup moins tranchée s’agissant des délits de prise illégale d’intérêts et de favoritisme qui peuvent conduire, parfois, à des mises en cause en matière pénale de décideurs publics locaux qui n’ont pas poursuivi d’intérêt personnel, ni même porté atteinte à l’intérêt de la collectivité.

Beaucoup de moins de poursuites envers les fonctionnaires

Le nombre de poursuites pénales contre les fonctionnaires territoriaux est beaucoup moins marquée (+ 5,5 %). Entre avril 1995 et juillet 2020, 2607 poursuites contre eux ont été recensées (pour 852 condamnations), soit une moyenne supérieure à 100 par an. Sur la mandature 2014-2020, 827 fonctionnaires territoriaux ont été poursuivis dans l’exercice de leurs fonctions, soit une moyenne de 138 par an. « Comme pour les élus, il est encourageant de constater une baisse des mises en cause pénales depuis 2016, avec même un niveau proche de celui constaté à la fin de la mandature 2001-2008 », estime l’Observatoire. Les territoriaux sont surtout poursuivis pour manquements au devoir de probité (42,9%), atteintes à la dignité (14,5%), atteintes aux mœurs et à l’intégrité sexuelle (12,1%) et violences volontaires (9,4%). Le taux de mise en cause pénale des fonctionnaires territoriaux est de 0,042% toutes infractions confondues.

Le nombre de poursuites pénales contre les collectivités ou leurs établissements publics, en qualité de personnes morales, suit la même tendance à la hausse que celle des élus locaux. Entre avril 1995 et juillet 2020, 413 poursuites ont été recensées contre eux (pour 80 condamnations), soit une moyenne supérieure à 16 par an. Sur la mandature 2014-2020, 182 collectivités et établissements publics locaux poursuivis pénalement ont été recensés, soit une hausse de 34 % par rapport à la mandature 2008-2014. Sur les 80 condamnations observées en 25 ans, c’est principalement dans le domaine des violences involontaires (48 % des motifs de poursuites pénales) que les collectivités sont exposées.

Un sentiment fort d’insécurité pénale avec la crise sanitaire

Selon Samuel Dyens, avocat associé au Cabinet Goutal, Alibert & Associés, responsable du département « Éthique publique », avec la crise sanitaire, « la perception du risque pénal, et osons le dire, le sentiment d’insécurité pénale que ressentent élus et agents est aujourd’hui décuplé ». Et de détailler : « Les obligations de l’employeur en matière de santé/sécurité au travail et de continuité du service public notamment, tout en étant parfaitement légitimes, génèrent une inquiétude que les récentes perquisitions affectant certains anciens membres du gouvernement quant à leur gestion de la crise sanitaire – alors que celle-ci n’est pas encore terminée ! – ne font qu’amplifier. Cette épée de Damoclès, réelle ou virtuelle, influence trop fortement l’action. La nécessaire responsabilité des acteurs publics ne doit pas conduire à une fragilisation de leurs interventions ou à un scrupule ou une réticence à agir ».

Pour sa part, Didier Ostré, directeur général adjoint de l’AMF, rappelle qu’une loi de mai 2020 a strictement encadré la responsabilité juridique de l’élu, dans le cadre de la crise sanitaire, « afin qu’il puisse agir, conformément à ses prérogatives, débarrassé des aléas auxquels il craignait d’être confronté. Désormais, le juge devra tenir compte, pour qualifier la responsabilité pénale du maire, des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions ».

Philippe Pottiée-Sperry

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